Les évènements qui ont amené le Coup d’État :
Le 9 octobre 1848, l’Assemblée décide l’élection du président de la République au suffrage universel masculin. Le 10 décembre, Louis Napoléon Bonaparte est élu et le 20 décembre il prête serment à l’Assemblée constituante. Le 2 décembre 1851, cet unique président de la seconde République, neveu de Napoléon 1er, déclenche un coup d’État et prolonge son mandat de dix ans. Pour cela il fait arrêter les députés royalistes, faisant croire ainsi qu’il sauve la République.
Les motivations des insurgés :
Il s’agit de la défense de la Constitution au nom des libertés bafouées et contre la misère. Il faut installer une République « sociale » pour mettre un terme aux ambitions de Louis Napoléon Bonaparte et l’empêcher de rester au pouvoir : la Constitution lui interdisant de se faire réélire.
Ceux qui assurent des fonctions de responsabilité dans ce mouvement sont médecins, pharmaciens, négociants, propriétaires, entrepreneurs. Dans les rangs, ils sont instituteurs, cantonniers, gardes champêtres, ouvriers, artisans et commerçants ainsi que des femmes. Certains d’entre eux doivent fuir ou se cacher devant le risque d’être emprisonnés à la tour de Crest.
La population paysanne composée de petits propriétaires, métayers et journaliers, n’occupe pas de fonction dirigeante dans l’insurrection bien que leur nombre soit un peu au-dessus de la moitié des insurgés. [1]
Plusieurs sociétés secrètes sont mêlées aux évènements de 1848 à 1851. Elles sont étroitement surveillées depuis les élections législatives de mai 1849 qui donnent une large majorité de sièges au regroupement des conservateurs (légitimistes, orléanistes et bonapartistes), tous adversaires de la République.
Les raisons principales de leur échec :
Les autorités s’étaient lancées dans un processus de répression systématique des vecteurs de la démocratie et de la « gauche ».[2]
Bien avant les mouvements de fin 1851, Ferlay, le préfet de la Drôme, tisse un réseau répressif à sa disposition. Les insurgés n’ont pas de moyens suffisants en armes. En face d’eux se trouvent des militaires expérimentés. Après les premiers coups de canon des troupes, la peur en a fait reculer plus d’un car la plupart des hommes sont chargés de famille.
L’unique journal non interdit sert les intérêts napoléoniens : « La ville de Crest, si durement éprouvée par les bandes anarchiques de la Drôme, est venue joindre ses biens vives et si légitimes sympathies à celles qui éclatent sur tous les points de la France, en faveur du prince. Il appartenait à cette cité, plus qu’à toute autre du département, de témoigner sa joie et sa reconnaissance pour la délivrance d’un péril dont elle a senti toute la gravité ».[3]
Le 30 juillet 1881 est promulguée la loi de réparation nationale en faveur des victimes du 2 décembre 1851. Peuvent prétendre à des indemnités les intéressés eux-mêmes ou leurs représentants. Elle comprend la réversion de la moitié de la pension du crédirentier décédé sur la veuve non remariée et sur les descendants au premier degré.
Quelques Drômois dans la tourmente :
J’ai dû faire des choix parmi plus de 1400 dossiers : environ dix mille personnes étaient impliquées dans ce mouvement.
Selon l’implication des individus « poursuivis », plusieurs degrés de condamnations en découlent : mise sous surveillance de la police, Conseil de guerre, transportation à Cayenne ou en Algérie, expulsion ou éloignement provisoire du territoire français, assignation à résidence dans une localité déterminée.

Joseph Fauchier, cultivateur propriétaire, hameau de Vaugelas, né le 1er nivôse an 7 à Pont-de-Barret, fils de Jacques et Elisabeth Charavan, marié le 30 juillet 1826 avec Louise Reynier.
La municipalité de Montclar-sur-Gervanne surveille ses activités. L’adjoint au maire, Reboul dépose : « Le 6 décembre, je fus accosté par Fauchier père et le domestique d’Eraud, qui me forcèrent à leur livrer la clef du clocher ». Des habitants témoignent : « Fauchier père et Boulard commandaient les gens de Vaugelas ». « Le 6, Fauchier, accompagné de quelques autres, est venu me prendre au collet en disant qu’il fallait partir. Il était un des chefs du mouvement ».
Dans le dossier de son procès [4] il est noté : « meneur capable de s’insurger à un moment donné ». Il est condamné « à cinq ans d’Afrique à cause d’affaires publiques de décembre dernier », destination Castiglione Douera, colonie agricole.
Le maire de Beaufort intercède auprès du préfet le 2 décembre 1852 « pour s’intéresser sur le sort d’une famille malheureuse, que vous éprouverez du plaisir à la tirer de la misère dans laquelle elle est plongée depuis longtemps ».
Est jointe une demande de grâce de Joseph Fauchier au président de la République : « Monseigneur, j’ai le répentir le plus sincère de mêtre laisser entrainer dans un parti qui était contraire à vôtre Gouvernement, mon ignorance seule en a été la cause ». Il termine par « Le plus fidèle, le plus humble, le plus soumis et le plus reconnaissant de vos serviteurs ».[5] Il est gracié le 4 décembre 1852.[6]
Après son décès, le 15 août 1883 à Montclar, par l’intermédiaire du préfet, ses trois enfants demandent en janvier 1884 à bénéficier « de la réversion de la pension de 800 frs allouée à leur père comme victime de 1851, en vertu de l’art. 13 de la loi de 1881 » (1M 1420).
Ce sont : Antoine, marié 11.6.1863 avec Sylvie Faquin, Mirabel-et-Blacons ; Marie mariée 17.3.1860 avec Joseph Guillard, Eurre ; Amélie mariée 22.1.1869 avec Philippe Eugène Monastier, Mirabel-et-Blacons.
Jean-Antoine Matton, cafetier à Luc-en-Diois, né le 01 avril 1808, fils de Joseph Gabriel et de Marie Marguerite Chapon, décédé le 13 octobre 1859 à Luc, époux de Julie Lachaud.
Arrêté le 20 janvier 1852, il est extrait de la maison d’arrêt de Die pour interrogation par le Juge d’instruction : – « Quelques jours avant les dernières élections l’huissier Crozet et le docteur Chevandier ne sont-ils pas venus à Luc et là, en compagnie de plusieurs socialistes de cette commune, ne se sont-ils pas réunis dans votre café ? ». – « Non Monsieur, je ne les ai pas vus. J’ai seulement ouï dire le lendemain que le docteur Chevandier était venu voir des malades et que l’huissier Crozet venait de faire une assignation à Lesches et qu’à son retour à Luc il avait rencontré le médecin Chevandier ; que M. Buis fils, de Montlahuc, s’était joint à eux et que tous ensemble ils avaient pris de la bière dans le café de mon frère cadet ». (Jean François Victor Matton 37 ans, aubergiste à Luc, marié 2 enfants, grâcié le 2.2.1853).
Un document anonyme précise : « Aucun fait précis n’a été révélé par la procédure contre Matton, pouvant établir la part que cet inculpé a pu prendre au complot insurrectionnel. Mais il est de notoriété publique à Luc que Matton recevait habituellement dans son café les hommes notoirement connus comme affiliés aux sociétés secrètes, qu’il partageait leurs idées et qu’il aurait préparé aux mêmes méfaits. Cet homme d’une moralité privée détestable, qui vit publiquement en concubinage, séparé de sa femme, est considéré comme un homme dangereux ».
Condamné à la transportation en Algérie, à Oued-el-Hammam (colonie pénitentiaire), il est gracié le 25 août 1852. Il remercie le Président de la République et « s’engage à ne jamais faire partie d’une société secrète ».
Le 27 mai 1882, le Préfet de la Drôme demande à celui des Hautes-Alpes de fournir les pièces nécessaires pour la veuve Matton demeurant à Aspres-les-Veynes, en vue de l’établissement du titre de rente qui lui est destiné. [7]
Jean Archinard, de Suze-sur-Crest, cultivateur propriétaire aisé, né le 06 octobre 1796 à Montclar, fils de Pierre & Jeanne Faquin, marié le 18 mai 1824 avec Marie Reboulet.
Il est poursuivi pour avoir fait partie des insurgés de Suze qui ont attaqué la tour de Crest le dix décembre.
« Chef du mouvement insurrectionnel de Suze ; a commandé une bande qui a concouru au meurtre des militaires tués à Crest. Complicité de meurtre et commandement exercé dans un mouvement avant les émeutes.[8]
Lors de son interrogatoire le 5.2.1852, il déclare : « …/ selon l’ordre de prévenir les habitants de se soulever pour venir au secours de Crest. Je prévins plusieurs de mes voisins ; à la suite de cela il y eu une prise d’armes mais l’on n’est pas sortis de la commune. Dans toute cette affaire j’ai agi très innocemment ».
Pas d’indication sur le jugement du conseil de guerre. En 1861, il habite à Suze avec sa femme et son fils.
Louis Soulier, de Chabrillan, cultivateur, né en 1806 à Chabrillan, célibataire, fils naturel de Marie Soulier.
« Inculpé du meurtre du maréchal des logis Carrier, ainsi qu’il résulte de plusieurs dépositions ».[9] Condamné à la peine de mort le 22 mars 1852 à Lyon, sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité au bagne de Guyane. « Détaché de la chaîne le 2 juin 1855, embarqué à Toulon sur la Corvette La Fortune, arrivé au bagne le 11 juillet, décédé le 22 août 1855 » (ANOM).
Adolphe Souchard, de Combovin, cultivateur, né le 13.1.1803, fils de Victor, maire, et Marianne Montagnat. Veuf de Marie Julie Lambert.
Organisateur des sociétés secrètes. Sous surveillance le 5.4.1852. Condamné à la déportation en Algérie. Gracié le 02 février 1853.[10]
Casimir Cerclerat, d’Alixan, célibataire, 23 ans, né à Châteauneuf-sur-Isère. Arrêté par mesure de sûreté à la suite du meurtre d’un militaire. En l’absence de charges, remis en liberté le 10 février 1852.
À signaler sur le site « poursuivis-decembre-1851.fr », la base de données réalisée par Jean Claude Farcy. Elle rassemble les informations nominatives disponibles sur les 26.848 individus poursuivis à l’occasion de l’insurrection de décembre 1851.
[1] 1 M 1440-1537, AD 26
[2] Page XXI-XXII, The Agony of the Republic, John Merriman, Hardcover, 1978
[3] Le 01/01/1852 Le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche, G. Gandy
[4] 1 M 419, AD26
[5] 1 M 1420, AD26
[6] Page 368, ‘Dix mille drômois se révoltent’ par Robert Serre, Edition Peuple libre, Notre Temps 1851
[7] 1 M 1501, AD26
[8] 1 M 1442, AD26
[9] 1 M 1432, AD26
[10] 1 M 1527, AD26
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