Dans le département de la Drôme :
La Grande Guerre, entre la France et l’Allemagne, mobilise les hommes, jeunes et moins jeunes.
De la classe 1893, mon grand-père effectue son service militaire au 4e Régiment du Génie : arrivée au corps le 13/12/1894 ; passage dans la Réserve de l’armée active le 01 novembre 1895* ; Il y accomplit une première période d’exercices du 27 août au 23 septembre 1900 puis une seconde période du 20 juillet au 16 août 1903 selon les indications sur sa fiche militaire. Il est versé dans l’armée territoriale le premier octobre 1907.[1]
* La loi de 1889 est aussi la loi des « curés sac au dos ! ». Néanmoins, le tirage au sort est maintenu. Il permet de désigner les conscrits susceptibles d’être renvoyés dans leurs foyers au bout d’une année de service, principalement pour des raisons budgétaires (https://sourcesdelagrandeguerre.fr/?p=534).
Né à Clérieux dans le département de la Drôme en 1873 mon grand-père Ferdinand Giroud, en août 1914, a presque 41 ans, marié et père de trois enfants respectivement de 12 ans, 11 ans et 9 ans lorsqu’il est rappelé par l’armée. La famille habite dans le village au 64 rue du Béal.[2]
Le 06/08/1914 mon grand-père arrive à son corps d’armée : il intègre le 9ème régiment d’artillerie à pied, 11e batterie de Belfort le 15/08/1914 jusqu’au 12/04/1916. Les régiments d’artillerie à pied sont des régiments d’artillerie de forteresse.
« Il n’y a plus de « Bataillon d’Artillerie à Pied » depuis 1910 lorsque les 18 Bataillons d’Artillerie à Pied existant sont réorganisés en 11 Régiments d’Artillerie à Pied (R.A.P) et 2 Groupes d’Artillerie à Pied d’Afrique (G.A.P.A)..En avril 1914, 2 R.A.P sont dissous (2ème et 4ème R.A.P), il n’y a donc plus que 9 Régiments d’Artillerie à Pied et 2 G.A.P.A en 1914 / Les unités mobilisées (de réserve et territoriales) sont elles aussi réorganisées en 1910 et suivent la réorganisation des unités actives / il faut tenir compte de l’incroyable confusion qui a régné dans l’Artillerie à Pied au moment de la déclaration de guerre du fait d’une réorganisation en cours et malheureusement inachevée ».[3]
« Si au début de la guerre, et comme les règlements le prévoyaient, l’artillerie à pied resta affectée à la défense et à l’organisation des batteries des places, bientôt en effet il fut possible d’exécuter en arrière d’un front relativement stable les travaux importants que nécessite l’installation d’une batterie de siège. Les forts désormais inutiles furent en partie désarmés et l’ancien mais toujours robuste matériel Ide Bange, servi par l’artillerie à pied, constitua le noyau de notre artillerie lourde. Le 9e R. A. P. ne devait pas échapper à la loi commune. Dès novembre 1914 ses batteries abandonnent les forts de la place et sont envoyées sur le front d’Alsace où elles seront à peu près toutes en position au début de février 1915 ».[4]
En juillet 1915 elles partent toutes en secteur sauf la 11ème qui reste à Belfort comme batterie de parc.
« La défaite de 1870-1871 et l’annexion de l’Alsace qui en découle rapproche dangereusement la frontière allemande de Belfort. Aussi, alors que la IIIe République cherche à doter la France d’une armée et d’outils défensifs, tout le système fortifié de la frontière de l’Est doit-il être revu.
Le général Séré de Rivière est chargé de cette tâche. Celui-ci met en place un système de rideaux défensifs et de places fortes, destiné à empêcher une invasion similaire à celle de l’été 1870. Belfort et sa région sont l’objet d’un renforcement des fortifications déjà existantes et de création de toute une série de forts et d’ouvrages nouveaux, qu’il convient de perfectionner, face au progrès constant de l’artillerie. La ceinture fortifiée de Belfort s’étend des contreforts du Jura suisse au piémont vosgien, en passant par Montbéliard et Héricourt. Sa construction mobilise des moyens financiers, matériels et humains considérables ».[5]
Forts et Citadelles, carte IGN spécialement éditée pour Shell année 1995 :

Légende :

La trouée de Belfort correspond au passage le plus aisé entre la plaine d’Alsace et le bassin du Rhône.
Communications, ravitaillement et évacuations à la date du 19 août 1914[6] :

« La ‘région fortifiée de Belfort’ comprendra : la 57e division, le groupement Legros*, transformé en division territoriale, la place de Belfort, la 10e D.C., la 9e D.C. (provisoirement), les garnisons des organisations défensives des crêtes vosgiennes jusqu’au massif inclus Ballon d’Alsace, Grisson, Rossberg. Elle relèvera du général commandant la VIIe armée. Le général commandant ‘la région fortifiée de Belfort’ sera en même temps gouverneur de la place. Il aura rang de commandant de corps d’armée ».[7]
*Legros : l’ancien Groupement Legros constitué en Division territoriale / Groupement Legros, du 18 avril 1915 au 9 août 1915 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5724446v/texteBrut).
Pour complément d’informations : « La mobilisation territoriale les hommes de 34 à 40 ans. Ces derniers sont placés à l’arrière du front et aménagent des positions. Ils forment l’ossature du camp retranché de Belfort lorsque le secteur devient calme fin 1914 ».[8]
Ferdinand, caserne, à la batterie du fort Chabrol située dans la ville de ladite Belfort où sont affectés des réservistes territoriaux.[9] Une batterie contient 315 hommes.
Les tâches des soldats territoriaux, qui peuvent être âgés jusqu’à 45 ans, sont de creuser les tranchées, s’occuper de l’entretien et de la garde des voies ferrées ; garder les prisonniers allemands. Pour une batterie de parc les réservistes territoriaux sont-ils chargés des magasins d’intendance, travaux préparatoires pour le Génie, du stockage et de l’entretien, réparation du matériel des autres batteries, l’artillerie à pied n’a pas de matériel affecté.
Maison du peuple dite fort Chabrol à Belfort [10]:

Le journal des marches et opérations de la 11ème batterie débute le 1 mars 1916 dans lequel je ne lis pas d’informations qui pourrait être pertinentes par rapport à la présence de Ferdinand dont son départ de cette batterie sera le 12 avril 1916 (26 N 1198/22).
D’une autre source : « À partir de 1915, Belfort devient une place de repli pour les troupes au repos, et une zone de formation pour les soldats partant sur le front dans le nord de la France ».[11]
Voici un extrait d’un témoignage de l’engagement du 9ème RAP dans cette guerre :
« Joseph Prudhon est né le 19 octobre 1888 à Authume (Jura). En 1914, il est employé à la compagnie des tramways parisiens. Jeune marié, il vit à Saint-Denis. Il est appelé au 104 RAL mais semble appartenir de fait (d’après les JMO) à l’échelon du 9e RA de Belfort. Le 21 mars 1915, il passe administrativement à cette unité avec laquelle il participe à l’offensive de Champagne ».[12]
Uniforme de la territoriale[13] :

Mon grand-père étant décédé avant ma naissance je n’ai pas pu le questionner sur son parcours militaire ; aussi je m’appuie sur le contenu de sa fiche militaire pour essayer de connaitre son parcours. Sa seconde fille, Marthe, dit qu’il est mort avec des douleurs aux poumons ayant été atteint par les gaz.
En 1914 près de Belfort ont lieu des expériences de protection contre le gaz hypérite[14] (gaz asphyxiant utilisé comme gaz de combat). Le début des attaques allemandes au gaz débute en avril 1915 et la distribution, en France, des masques commencent en 1918.
Pendant la présence de mon aïeul et après dans ce régiment, des bombardements touche la ville de Belfort jusqu’en 1917 quotidiennement : en février 1916 par des pièces à longue portée.[15] « Entre 1915 et 1916, l’armée allemande a installé, dans la forêt de Zillisheim*, un canon de marine appelé « Langer Max ». Le tube pesait 80 tonnes et faisait 17m de long. Il tirait des obus de 380mm d’un poids de 750kg sur une distance de 45km. Ce canon qui avait pour mission de tirer à grands coups sur Belfort ».[16]
*situé dans le département de la Moselle
En date du 13 avril 1916 Ferdinand passe aux dépôts d’artillerie de la 14ème région avec Grenoble en tant que quartier général [17]:

Il y retrouve son régiment d’origine : le 4ème du Génie : cependant des hommes des classes plus jeunes que la sienne seront gazés et évacués en septembre 1917 (je n’ai pas le lieu du gazage).
Il intègre au 14 avril 1916 le 11e régiment d’artillerie à pied ; déplacement sur Grenoble peut-être en lien avec les bombardements sur Belfort ?
Il n’existe pas d’historique régimentaire pour le 11ème et quant au journal des marches et opérations je ne peux pas les consulter faute de connaitre sa batterie d’attribution.
Sur sa fiche militaire je lis : en sursis jusqu’au 15 novembre 1917 ‘comme maçon à Clérieux’ :

Pour rejoindre son village il fait le voyage en train qui sont bondés ; les permissionnaires voyagent debout. Il n’y a pas de toilettes. Les trains sont mal éclairés, mal chauffés. En été, les soldats en uniforme de laine font le voyage en sueur. L’eau potable manque sur les longs voyages. Pour venir en train et parcourir 100 km il faut six heures ; ainsi le raconte l’historienne Emmanuelle Cronier.[18]
Je ne pense pas qu’il fasse partie des permissionnaires agricoles puisqu’il exerce le métier de maitre maçon.
Au 25 septembre 1918 je le retrouve dans le 10e régiment d’artillerie à pied. Il manque l’historique du régiment. Agé de 45 ans, dans sa tranche d’âge, dans ledit régiment, on relève pour l’année 1918, 25 hommes décédés.[19] De la classe 1893 : 213 000 hommes sont mobilisés, 13 400 se font tués soit 6, 3% de l’effectif (document affiché sur un mur intérieur du fort de Vaux).
A l’époque « La France fut le seul pays engagé dans le conflit où il était strictement interdit de publier les pertes ».[20]
Son cousin Jean-François Robin, né en 1888 à Clérieux, de la classe 1908, affecté dans le 157e régiment d’infanterie à Gap, meurt à l’hôpital temporaire de Florina* le 28 septembre 1917, de maladie contractée en service dans l’armée d’Orient.
* ville située en Macédoine occidentale, au nord de la Grèce.
Dans son village de Clérieux ou celui proche de Saint-Bardoux, les remobilisés : Augustin Crémy, classe 1892, est réformé pour maladie ; Edouard Joseph Monneron, classe 1893, blessé à l’oreille droite :

Robin Léonce, également classe 1893, ne participe pas à la guerre, il est père de sept enfants ;
Louis Paul Osval, né en 1873 à Clérieux, classe 1893, s’est engagé volontairement en 1891 pour quatre années ; « Maintenu dans ses foyers à la mobilisation comme habitant le territoire de Biskra (Algérie) ».[21]
La guerre se termine : « Tout d’abord, même si l’Armistice était signé, la guerre n’était pas terminée tant qu’il n’y avait pas un traité de paix. Celui-ci n’a été signé que 7 mois et demi plus tard, le 28 juin 1919, à Versailles. Notamment, les soldats alliés devaient accompagner la sortie du territoire des troupes allemandes, tout en reprenant possession des territoires occupés et annexés. Enfin, les opérations de démobilisation ont pris du temps car elles ont été échelonnées en fonction de la classe d’âge des soldats. De ce fait, dès qu’une classe d’âge était libérée, cela déstructurait tous les régiments, qui devaient donc être réorganisés à chaque fois ».[22]
« Les premiers à partir, du 16 novembre au 20 décembre 1918, sont les hommes des classes 1887 à 1891. Ceux des classes 1891 à 1906 sont libérés entre le 25 décembre 1918 et le 3 avril 1923 ».[23]
Mon grand-père est mis en congé illimité de démobilisation le 27 décembre 1918, premier échelon numéro 6 au 6ème régiment d’artillerie dont le casernement est à Grenoble et Valence.
Il n’a pas demandé sa carte d’ancien combattant comme l’a fait par exemple Jean-Louis Istier, né en 1872.[24]
Libéré du service militaire le premier octobre 1921, vingt ans plus tard son fils André, mon père, né en janvier 1921, sera incorporé dans les chantiers de jeunesse puis une autre guerre adviendra.
Pour aller plus loin : PDF ‘règlement de manœuvre de l’artillerie à pied, artillerie de siège et place’.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567315q.texteImage#
[1] Vue 510, 1 R 160, AD26
[2] Vue 4, recensement année 1911, AD26
[3] http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/artillerie-sujet_9131_1.htm
[4] https://www.ancestramil.fr/cms/uploads/01_doc/terre/artillerie/1914-1918/9_ra_a_pied_historique_1914-1918.pdf
[5] PDF exposition ‘ceinture fortifiée de Belfort’, AD90
[6] Tome XI, https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/visionneuse
[7] Vue 24, tome IV, annexe 1, https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=212&titre=armees-francaises-dans-la-grande-guerre-afgg-
[8] https://lecture-archives.territoiredebelfort.fr
[9] Vue 11, historique sommaire régimentaire historique du 9e RAP, mémoire des hommes ou Gallica
[10] 7 fi 2609, sans date, https://archives.territoiredebelfort.fr/search/results?q=fort+chabrol&scope=all
[11] https://lecture-archives.territoiredebelfort.fr
[12] http://www.association14-18.org/references/temoins/temoins.htm
[13] Gallica, Agence Rol. Agence photographique (commanditaire). En tenue de guerrier [Soldat français équipé] : [photographie de presse] / [Agence Rol]. 1915
[14] https://imagesdefense.gouv.fr/fr/pres-belfort
[15] Vue 19, PDF, historique régimentaire 9e RAP, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63361659
[16] https://www.sundgau-sud-alsace.fr/LEI2/1321/234010677/Visite-guidee-du-site-du-Grand-Canon.htm
[17] https://www.histoire-passy-montblanc.fr/histoire-de-passy/de-la-prehistoire-au-xxie-s/la-guerre-de-1914-1918/a-la-recherche-des-poilus-de-passy/organisation-de-larmee-francaise-en-14-18-termes-militaires/
[18] http://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2014/09/04/les-gares-pendant-la-grande-guerre-un-repere-pour-le-soldat_4482423_3448834.html
[19] Mpf.provence14-18.org
[20] Page 14, paroles de poilus par Jean-Pierre Guéno, nouvelle édition Librio
[21] Vue 465, classe 1893, AD26
[22] https://www.aupresdenosracines.com/ce-que-nos-ancetres-ont-fait-apres-larmistice-de-1918/
[23] Page 32, la vie des poilus, Orep éditions
[24] Carte de combattant, 1920 W 14, AD26
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